JFH : Sur la base de cette récente étude, à quelles tendances socio-économiques majeures nos sociétés vont-elles devoir faire face ?
MG : Nous observons avant tout une augmentation significative, voire une explosion, de la population mondiale. Elle est moins importante que prévu en Chine et en Inde, mais l'Afrique continue son fort développement, entrainant une redistribution de la population mondiale. L'Europe, quant à elle, ne représentera bientôt plus que 8%. De plus, cette augmentation s'accompagne d'une concentration dans les villes, où se concentre 65% de la population mondiale… qui représente 90% du PNB. En plus de ces changements démographiques avec une population vieillissante, citons également le réchauffement climatique, la transition écologique, ou encore le fait que les analyses montrent que le pouvoir d'achat n'augmente pas, et ce depuis plusieurs années. Cette stagnation à la baisse représente un défi important pour les sociétés, qui ont tendance à se tourner vers le haut de gamme, le premium, quand il serait plus adapté d'offrir des produits et services moins chers.
Avec un risque économique important et le retour annoncé d'une importante crise, avec une dette gigantesque, des prêts à taux zéro, une spéculation importante et la percée des cryptomonnaies… je me demande si nous sommes aujourd'hui mieux armés pour faire face à une potentielle crise économique. Puis, il y a également les conflits ouverts, en Europe et au-delà, entre les incertitudes liées au Brexit et l'idée que d'autres pays puissent imiter le Royaume-Uni, avec la crainte de voir se former une Europe à trois vitesses, mais aussi la montée du protectionnisme, notamment aux Etats-Unis, qui réduit inévitablement les échanges tout en faisant exploser les prix de certains biens.
JFH : Quels constats faites-vous concernant l’évolution des cybermenaces ?
MG : Cette cybermenace, de plus en plus sophistiquée, ne cessera en aucun cas de s'accentuer dans les 3 ou 4 années à venir, avec un sérieux avantage donné aux attaquants dans le contexte actuel. Le Club de Paris avec ses membres travaillent ainsi à comprendre ce monde qui bouge, avec pour mission d'échanger les bonnes pratiques afin de faire face à ces situations risquées. Il ne faut pas ignorer le constat : la situation est dégradée. Une prise de conscience est nécessaire. Puis, il faudra se regrouper pour recoller les morceaux, car comme nous l'avons déjà observé précédemment dans l'Histoire, la solution ne tombera pas du ciel !
JFH : Quelle interprétation faites-vous de cette transformation digitale de notre environnement ? Faisons-nous face à une rupture majeure ?
MG : Pour moi, il ne s'agit pas d'une rupture, mais plutôt d'une transition numérique. Je tiens également à distinguer "mégatrend" et "transition" : dans le premier cas, nous observons le monde et nous le voyons se transformer. Dans le second, nous décidons d'agir et de gérer ce changement. Dès lors, il est plus adapté de parler aujourd'hui de transition digitale, et non de disruption. Nous créons un monde virtuel, mais il ne s'agit pas d'une révolution copernicienne comme a pu l'être la création du téléphone, l'invention de l'imprimerie ou encore l'avènement de l'aviation, notamment. Il est aussi nécessaire de clarifier le terme "disruption", trop souvent galvaudé et utilisé à mauvais escient selon qu'il s'agisse de la langue française ou anglaise. Ainsi, dans la langue de Molière, celui-ci signifie "coupure", alors que pour Shakespeare et les siens, il correspondra à une "simple déstabilisation". Les évolutions technologiques actuelles ne créent pas de rupture sociétale. Les gens continuent d'utiliser des appareils photos, qu'ils soient analogiques ou numériques, Amazon fait de la grande distribution : les exemples sont nombreux et parlants. Aujourd'hui, nous assistons à une rationalisation de l'existant, sans qu'elle ne change profondément notre civilisation. Nous nous trouvons donc dans une période de stagnation séculaire. Selon moi, cette transition digitale dont nous parlons aujourd'hui n'est autre qu'une illusion technologue !
JFH : Le marketing se nourrit régulièrement de buzz-words, l’intelligence artificielle en est un. Selon vous porte-t-elle de vraies promesses ? lesquelles ?
MG : L’IA ? Un mythe, tout simplement ! Celle-ci n'ayant rien de comparable avec l'intelligence humaine, ses émotions et son empathie. Ainsi, cette vague de numérisation n'apporterait que peu de nouveautés et n'aurait que peu d'impact sur la productivité, à des années lumières de la Renaissance : le numérique devient simplement une commodité, devient banal.
JFH : Pourquoi la Renaissance est-elle si représentative de l’Innovation ? Quelles différences y voyez-vous avec notre époque ?
En matière d’innovation vous y faites souvent référence. Cette période de l'Histoire a vu le développement de nombreuses méthodes et techniques innovantes, l'apparition des brevets, la genèse des "capital ventures", l'invention du design et de la R&D.
MG : La Renaissance fut une véritable révolution humaniste. C'est à cette époque qu'on a décrit les quatre objectifs avoués de l'innovation : améliorer la condition humaine, harmoniser les relations entre les Hommes, créer la Cité idéale et enfin améliorer notre relation à la nature. Inchangés, ces principes sont aujourd'hui encore à la base de l'innovation. La technologie change, certes, mais pas la philosophie. Revenons donc sur ces valeurs qui unissent et basent sur ce "socle de vérité". À titre d'exemple, l'innovation scientifique, bien souvent discrète, avance et accumule les connaissances. Elle se traduit par le développement de nouvelles technologies, qui ne créent pas de rupture, ni de cassure, mais transforment l'ancien. Comme l'économiste américain Joseph Schumpeter a pu l'observer durant ses années de recherche, la destruction arrive bien souvent avant la création, créant ainsi des mouvements sociaux et entrainant la peur des citoyens devant un manque d'information. Aujourd'hui, cette destruction est plus rapide et bien plus violente, alors que la création met plus de temps qu'initialement prévu, créant ainsi un décalage important. J'invite alors les leaders et entrepreneurs à former leurs collaborateurs et à partager leurs visions tout en organisant le passage d'un état à un autre. Ils ont un rôle clé, un rôle d'anticipation. En France, les chaînes de télévisions classiques payent leurs taxes et impôts, tandis que les plateformes de streaming telles que Netflix ne déboursent rien. Elles utilisent la technologie pour, en quelque sorte, contourner les méthodes traditionnelles. Les leaders ne peuvent en aucun cas être aveuglés et doivent anticiper, car la loi peut s'avérer difficile à transformer, donnant ainsi lieu à des frictions.
JFH : N’a-t-on pas trop oublié le rôle de l’innovation dans l’amélioration de la condition humaine dans nos sociétés ? Quelles recommandations pourriez-vous donner aux entrepreneurs, porteurs de projets ou décideurs pour développer l’innovation ?
MG : Les CEOs et chefs d'entreprises ne portent pas suffisamment attention à la transition digitale, 80% des projets n'aboutissant pas. Quelle est la raison de ces échecs ? Le digital est projeté sur les collaborateurs, quand ces derniers devraient être à la base de cette transition, partant de leurs désirs et de leurs attentes. Tech, tech et encore tech… La dimension humaine est bien souvent laissée de côté. Le digital devrait être au service des collaborateurs. Nous sommes allés jusqu'à demander aux gens de se robotiser. Fort heureusement, aujourd'hui, l'Humain se replace naturellement au milieu de cette discussion, mais la transition est violente, car nous nous sommes trompés pendant trop longtemps. Comme au temps de la Renaissance, privilégions la pensée humaine et gérons cette transition vers l’émergence d’une société de progrès partagé !