Prendre le train en marche
Dans toute crise sommeillent des opportunités, le tout est de savoir les saisir. C’est ce qu’a fait l’Union européenne avec son plan de relance «Next Generation EU» doté de 750 milliards d’euros dont une grande partie sera consacrée au digital. Un bond en avant pour l’Europe numérique tant attendue par les acteurs du secteur. En effet, l’éruption de la crise sanitaire a, s’il le fallait encore, fini d’éveiller les consciences en même temps qu’elle a révélé la dépendance de l’Europe en ce domaine. «Avec le confinement, le monde a basculé du physique au numérique, au point où le digital est devenu vital. Malheureusement, l’Europe numérique reste à construire. Si la crise du Covid-19 a révélé que l’Europe ne disposait pas d’autonomie suffisante dans un domaine essentiel, comme la santé, elle a également mis en exergue sa très faible autonomie dans le secteur d’avenir qu’est le digital. Le Vieux Continent est aujourd’hui un acteur digital de second plan au niveau mondial. Par chance, le digital se construit par vagues. Nous avons raté la première, il s’agit maintenant de ne pas manquer la deuxième, celle de l’intelligence artificielle», avertit Yves Reding. Qu’il s’agisse de conduite autonome sécurisée, d’évaluation des risques financiers ou encore de diagnostics médicaux plus fiables, l’intelligence artificielle est en effet en passe de révolutionner de nombreux secteurs.
Une question de valeurs
Dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission a mis en garde: «l’Europe doit montrer la voie à suivre dans le domaine du numérique, sinon elle sera contrainte de s’aligner sur d’autres acteurs qui fixeront ces normes pour elle». C’est le moteur franco-allemand qui, le premier, s’est attaché à montrer la voie en initiant le projet GAIA-X en novembre 2019. «Cette initiative, née en Allemagne, a pour ambition de construire une infrastructure européenne de données basée sur des valeurs telles que la transparence, la portabilité, la confiance et la souveraineté. Aujourd’hui, le digital est aux mains de géants qui sont de véritables boîtes noires. A la fois joueurs et arbitres, ils peuvent changer les règles du jeu à leur avantage et traitent les données comme des marchandises. Cela génère, entre autres, de graves distorsions en termes de libre concurrence, d’innovation, de respect des données personnelles, considérées comme inacceptables à nos yeux d’Européens. L’ambition de GAIA-X n’est pas de construire de nouveaux géants du cloud, mais de fédérer tous les acteurs de cet écosystème autour de certaines règles de conduite et de redonner la gouvernance du digital aux autorités et acteurs européens, tout en respectant les valeurs européennes», explique Yves Reding.
Fondée en une AISBL (Association Internationale Sans But Lucratif), l’initiative est ouverte à tous depuis septembre 2020. Déjà, les géants du digital, que ce soit les acteurs américains Microsoft, Oracle, Amazon ou Google ou chinois Alibaba ou Huawei l’ont rejointe. Un élargissement qui a soulevé quelques contestations mais qui, selon Yves Reding, n’altère en rien le bien-fondé du projet: «L’important est de détenir la gouvernance au niveau européen et d’impliquer tous les acteurs, car les valeurs prônées sont finalement universelles. Qu’y a-t-il de plus normal que de promouvoir la transparence, l’ouverture, la confiance, la souveraineté et la portabilité? Il est de l’intérêt de tous qu’un maximum d’acteurs suive ces principes. Les statuts de l’AISBL prévoient néanmoins que seuls les membres considérés comme des entreprises européennes aient le droit de décision».
Des retombées dans tous les secteurs
GAIA-X, c’est donc une infrastructure cloud, mais pas seulement. L’initiative entend surtout développer une multitude de cas d’usage basés sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. A cet égard, le projet fonctionne sur une approche «top-down» au niveau européen: l’AISBL GAIA-X, basée à Bruxelles, assure la gouvernance du projet, avec aujourd’hui plus de 200 membres et couvrant l’ensemble des cas d’usage du digital (« data spaces ») dans l’activité socio-économique. GAIA-X est également un projet «bottom up» qui repose sur des «regional GAIA-X hubs». «Aujourd’hui, la construction du hub luxembourgeois est en cours. Il identifiera les cas d’utilisation qui sont stratégiques pour le pays afin de les porter au niveau européen, parmi lesquels la finance, l’énergie, la santé, l’industrie 4.0, la mobilité… En octobre 2020, en tant que «Day-One member» de l’AISBL, EBRC a pris son bâton de pèlerin et a constitué, avec le Groupe RHEA, CS Group et 3DS OUTSCALE, une nouvelle alliance transfrontalière dans le domaine des données spatiales. Ce consortium a connu un réel succès puisqu’il a été rejoint par de grands acteurs du domaine tels qu’Airbus, Thales Alenia Space, Capgemini, Safran ainsi que l’ESA, et a permis la création d’un nouveau data space «Espace». Dans les différents groupes thématiques, les membres de GAIA-X développeront des standards d'échange et de sécurité propres à leur secteur. C’est donc un projet européen extrêmement complexe et ambitieux car le digital touche à tous les domaines d’activités. Il apportera une vraie valeur ajoutée au citoyen européen», développe Yves Reding.
Inscrire le Luxembourg sur la carte
Lancée officiellement en juin 2020, l’initiative GAIA-X était initialement un projet franco-allemand regroupant quelque 22 membres. Elle a désormais convaincu plus de 200 organisations. Dès l’ouverture à d’autres pays, EBRC s’est empressé de devenir «Day-One member» de l’organisation, en tant que représentant de l’ensemble de notre groupe. «Cela fait dix ans qu’EBRC a lancé son «Trusted Cloud Europe» et promeut la nécessité de standards européens élevés, basés sur des principes de souveraineté européens. Si nous avons pu avoir l’impression de prêcher dans le désert, l’initiative GAIA-X nous a donné l’opportunité de sensibiliser l’écosystème luxembourgeois via les associations dont nous sommes membres, comme nous l’avons fait le 12 octobre 2020 lors d’une conférence organisée par Cloud Community Europe-Luxembourg, ICT Luxembourg et la FEDIL. Avec ces trois associations un second évènement sera organisé sur le sujet. Il aura lieu le 25 mars prochain avec pour conférencier principal Hubert Tardieu, président du Conseil d’Administration de GAIA-X, ainsi que les responsables des German et French Hubs. Le premier nous présentera les cas d’usage développés en Allemagne dans le domaine de l’IoT et de la mobilité et le deuxième dévoilera les projets supportés par GAIA-X dans les secteurs de l’énergie et de la finance», annonce Yves Reding.
Bien que le projet n’en soit encore qu’à ses débuts, force est de constater qu’il se développe à toute vitesse, preuve s’il en est de l’importance des enjeux qu’il soulève.